Série KHMER

Les douves

Bien sûr, il eût été plus facile, plus rapide et moins onéreux de présenter ces lieux avec de belles photographies qui, agrandies aux formats que vous allez découvrir, vous auraient procuré de belles sensations… Certes, mais.. Je ne suis pas un bon photographe !

Je tiens pourtant à partager ce que j’ai ressenti là-bas.

Bien au-delà de la simple image du site, capturée furtivement par la photo, je m’emploie à vous transmettre l’ambiance, la douceur des couleurs, les brumes matinales, les brillances; j’aimerais que vous sentiez la moiteur de l’air, l’odeur de la jungle qui s’éveille, et même que vous puissiez imaginer les sons, les familles de singes qui dévalent les branches en criant, les éléphants, les insectes, les craquements des grands arbres…

Le temps que je passe à monter en contraste une toile, tout au long jusqu’à son vernis final, je me souviens… Je suis là-bas. Voila un an que, dans l’atelier, je ne quitte pas le Cambodge.. Impossible de transmettre autant d’émotions avec une photo, elle reste froide.

Quand on se promène parmi les ruines des temples d’Angkor, on ne peut s’empêcher de se projeter mille ans en arrière en imaginant le faste et la splendeur de leurs heures de gloire, les chantiers titanesques du réseau hydraulique de ce puissant empire, la dévotion de ces milliers d’artistes sculpteurs, l’inspiration longue et constante de ces dynasties de rois bâtisseurs.

Cette série de toiles sur l’art khmer est un hommage, une sorte de témoignage reconnaissant de la grande Harmonie, de l’inspiration Divine matérialisée dans un complexe urbain aux dimensions sidérantes. Le symbolisme, l’architecture, l’art, la maîtrise de l’eau et la solide ténacité d’une nation ont contribué à l’édifice d’une mégalopole aux proportions enchanteresses et impressionnantes qui, pour des raisons encore non elucidées, a été désertée et livrée à la jungle dévorante pendant quatre siècles. Alors, une autre harmonie est née…

La Nature a repris la place que les rois khmers lui avaient subtilisée, et a imposé de nouvelles rêgles sur l’ensemble de sa conquète : Les eaux de ruissellement autrefois domestiquées se chargent à travers les champignons blanchâtres, les lichens verts d’eau, les mousses acides, et teintent le grès aux couleurs chaudes de noirs profonds, d’oxydes, d’ocres rouges tirant vers « lie de vin ». Un ficus géant a élu domicile sur une terrasse, étalant sa vaste base noueuse sur ce qui n’était qu’horizontal. Les « fromagers » aux troncs d’or pâle s’élancent très haut vers le ciel après avoir étranglé dix mêtres de galerie de leurs racines tentaculaires qui courent sur les toits, perçant les murs, s’enroulant autour d’une colonne…

Voila maintenant, vous y êtes aussi…Bienvenue dans les temples khmers!…

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Note de l’auteur : (oui, encore une, faut que je vous raconte…)

Ce qui est le plus fascinant quand on arpente la plaine d’Angkor, c’est de savoir que ce que l’on voit ne représente que 5 ou 6% de ce qui a été. Il ne reste de cette civilisation que les édifices religieux, bâtis en dur. Les temples d’Angkor étaient tous le centre d’une ville, ou d’une citadelle ceinte par un mur percé de quatre portes aux directions cardinales, nommée Banteay. A ce jour, deux cent quatre vingt sept temples ont été recensés sur l’ensemble du territoire que couvrait l’Empire Khmer, soit le Cambodge actuel, le Laos, la Thailande et une partie du Vietnam, autrefois appelé Champa, peuplé des ennemis héréditaires, les Chams.

Ainsi, lorsque nous pénétrons par l’Est dans l’enceinte de Banteay Kdei, par exemple, nous empruntons la voie principale qui mène au temple à travers une ville fourmillante, des milliers de gens qui n’auraient jamais pensé, par esprit de respect et de dévotion, poser une tuile sur leur toit. Les habitations ainsi que tout le reste des édifices privés ou communs étaient construits de matériaux légers comme le bois, les toits en tresses de feuillage.

Toutefois, des fouilles récentes dirigées par Jacques Gaucher dans le quartier Nord Est d’Angkor Thom (traduisez la grande capitale), où devaient séjourner des nobles et riches personnages étant donné la plus faible densité des lieux d’ habitation, ont mis à jour des vestiges architecturaux en grès, des bassins ornementés, des statues… Angkor Thom n’a pas fini de livrer ses secrets…

Elle est une ville carrée de trois kilomètres de côté, sa muraille en latérite a une hauteur de huit mètres, percée des quatre portes cardinales plus une cinquième sur l’Est, la porte de la Victoire, décalée vers le Nord et menant à l’axe de la terrasse royale, dite « des éléphants », séparant au passage la rangée de douze tours de Prasat Suor Prat. Les autres portes mènent en ligne droite au Bayon, le temple montagne aux tours à quatre visages, centre géométrique et spirituel de la capitale. Les neuf cents hectares d’Angkor Thom étaient quadrillés de plus de cent kilomètres de rues et de canaux, formant ainsi quelques trois cents ilots. Le quart Nord Est contient aussi l’ensemble de cinq petits temples montagnes de Preah Pithu, où l’érosion des sols a transformé les socles en relief vallonné.

Les dimensions sont sidérantes…

Après avoir vu les terrasses de Versailles, déjà impressionnantes, après avoir plongé dans la pensée créatrice de Lenôtre à Vaux le Vicomte, et apprécié la magnificence de Chambord, je me retrouve devant la terrasse des éléphants, d’une largeur de 300 mètres, sculptée et ornementée intégralement ainsi que ses cinq escaliers monumentaux !… Flanquée au nord de la terrasse du roi lépreux, un dédale où semblent avoir été répertoriées toutes les ethnies de ce temps, prolongée au Sud par le pavillon d’entrée du Baphùon, l’autre plus gros édifice de l’Empire Khmer, elle est la grandeur, la puissance, l’harmonie et la finesse.

Les portes d’Angkor Thom, d’une hauteur de 23 mètres sur 30 de large, sont toutes précédées d’une double procession de géants couronnés, formant la balustrade monumentale des ponts sur la douve large de cent vingt mètres. Face à la cité, à gauche, les gentils, à droite, les pas gentils… Tous tiennent le corps du Nâgâ sacré, gardien des eaux et des profondeurs, et… vous accueillent ! L’imagination va bon train si j’endosse la peau d’un visiteur d’autrefois. Cette centaine de colosses vous passent déjà les émotions au mixeur dans l’état qu’ils sont, et pour peu qu’ils aient été peints, leurs couronnes et leurs parements dorés… Cette gigantesque porte au fond comme sculptée dans le roc, ça devait forcer l’humilité !… Sans compter qu’elle devait être farouchement gardée par des soldats en armes…

Angkor Wat (la capitale qui est un temple) est le plus grand édifice religieux du Monde. Sa tour centrale culmine à 55 mètres. Angkor Wat est aussi le monument le mieux conservé en partie grâce à ses douves exceptionnellement larges qui ont su prémunir l’enclave de ses 200 hectares des graines fatales de la jungle emportées par les vents, mais aussi et surtout, grâce à un entretien permanent… Parce que, loin d’avoir été abandonné comme les autres monuments de la plaine, il est resté un lieu de pèlerinage au fil des siècles. Angkor Wat, outre ses proportions titanesques, se singularise également par son ouverture à l’Ouest, à l’inverse de tous les autres temples Khmers. Cette orientation unique est associée à Vishnu, et à la mort selon les traditionnels temples funéraires Indo-Javanais. Le temple se pare d’orange au crépuscule, comme pour avaler la couleur des robes des bonzes. C’est l’heure où des nuées de chauve-souris prennent leur envol après, selon la saison, le larsen assourdissant des cigales. Un coucher de soleil sur Angkor Wat est un moment somptueux et terrifiant, inoubliable.

Ce qui m’a frappé en premier à Angkor Wat, ce sont les margelles des douves. Des blocs de grès énormes, disposés en escaliers sur cinq ou six niveaux, dont la face visible est moulurée et ornementée, et qui parcourent un développé de cinq kilomètres et demie!.. Deux fois! Nous ne sommes même pas encore dans l’enceinte du temple!.. La suite n’est qu’émerveillement, tant par le gigantisme que par la finesse d’exécution, l’harmonie des proportions, tout est là, depuis mille ans… Alors, bien évidemment, il devient le symbole de l’apogée des temps fastueux, et trône naturellement au milieu du drapeau cambodgien, avec ses cinq tours stylisant le mont Meru, le domaine des Dieux.

Mais il y a un autre joyau, au milieu de son écrin de verdure, tel un diamant taillé à la perfection : le temple de Banteay Srei. Ici, nous sommes surpris également par la taille de ce monument : il parait avoir été construit par et pour des enfants, un temple miniature au regard de l’ensemble. Banteay Srei signifie pourtant citadelle des femmes…

Banteay Srei n’a manifestement pas la place de contenir une ville dans son enceinte, ce temple est décidément bien singulier, par sa taille, le matériau employé, son isolement et sa date… Les archéologues d’autrefois, au vu de l’art si minutieux qui le caractérise, ont longtemps pensé qu’il avait été construit tardivement, vers le XIII eme siècle, tel un chef-d’oeuvre aux heures de gloire. Mais à la découverte d’une stèle gravée, preuve a été donnée que son édification a débuté en l’an 967… 150 ans avant Angkor Wat ! Mais qu’importe ici, l’émotion submerge… Partout où l’oeil se pose, je sens en moi les paroles de Baudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. » Il est 7 heures du matin, le petit temple de grès rose émerge de la brume et les premiers rayons de soleil arrosent de jaune d’or les frontons finement sculptés, les ombres longues laissent encore une part de mystère mais les lumières réfléchies dévoilent peu à peu les splendides apsaras, les détails un peu naifs mais tellement poétiques des linteaux, les colonnettes ciselées, c’est de la dentelle, l’harmonie pure. Je prends un bain de douceur, tout est yin, à 1000%… Merci aux artistes qui ont participé à ce chef d’oeuvre, merci au maître créateur et à l’inspiration Divine. Pas étonnant que Malraux ait eu la tête qui tourne au point de se confondre…

Allez, j’y retourne!..

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